Mais qui es-tu ?
Mon nom est La Fête Sauvage, mon vrai nom c’est Anaïs mais je préfère me présenter en Fête Sauvage. Ça fait trois ans que j’ai créé La Fête Sauvage et que je commercialise mes créations. Je suis spécialisée dans la lino-gravure, c’est une technique qui permet de graver des plaques souples, des linos ou de la gomme et de graver en creux. Cela ressemble à de gros tampons, j’encre au rouleau et je presse sur du papier. Chaque tirage est un tirage original, il y a toujours des différences entre chaque tirage et j’aime l’idée de proposer des séries limitées entre 15 et 40 exemplaires pour chaque motif.
Et ce nom de la fête sauvage, il est né comment ?
C’est une private joke ce nom. Quand j’étais étudiante à Toulouse, j’avais beaucoup, beaucoup de cheveux. Un jour, en me rendant en soirée avec des amis, il y a un mec qui m’a vue et qui s’est écrié « mais c’est la fête sauvage ! » et c’est resté ! J’ai du coup fait un tatouage de ce nom avec une amie présente ce soir-là, ça représente une sorte de félin.
La présence de félins est d’ailleurs récurrente dans tes illustrations ?
Oui, c’est lié à ce nom, j’aime bien tout ce qui est sauvage comme la nature qui nous entoure !
Tu représentes des corps nus emplis de tendresse, quel rapport tu entretien avec la nudité ?
C’est quelque chose d’instinctif, c’est vrai que j’aime bien dessiner les corps nus, je représente des corps érotisés sans jamais tomber dans le voyeurime. Je m’en suis rendu compte du gap entre ce que je peux représenter, qui est de l’ordre de la suggestion, de l’érotisation et certains travaux de commande où l’on est vraiment dans la sexualité pure. Quand j’ai travaillé pour le jeu de cartes Mylubie, l’exercice était de représenter des scènes pornographiques, c’est un travail différent. Il y a beaucoup d’artistes qui font ça et je trouve ça génial qu’il y ait toute une branche d’artistes qui dessinent des trucs vraiment sexuels/pornographiques, mais c’est vrai que je ne m’inscris pas forcément là-dedans. J’aime dessiner des corps nus qui ne soient pas forcément sexualisés et qui ne correspondent pas non plus à des canons de beauté « classiques ». Je fais des femmes avec des formes et quand je représente des hommes, j’essaye toujours de les placer dans des postures douces, je ne veux pas les représenter en mâles dominants. On ne se rend pas forcément compte de la manière dont nos créations vont être reçues mais les retours que j’ai souvent, c’est qu’il y a une douceur qui s’en dégage.
Tu transpose souvent l’idée de nudité avec la représentation d’un monde sauvage/animal, ça vient d’où ?
Je viens de la campagne, la campagne profonde, de la Corrèze exactement et j’ai grandi dans la nature. Je crois que tout part de là, c’est un sujet que j’aime représenter. Je pense que ça me sort de mon quotidien urbain, que j’ai de plus en plus de mal à supporter, d’où ce rendez-vous en plein bois de Vincennes ! Haha
Tu as accepter notre invitation pour le PPS, quelle sera ta sélection pour la boutique ?
C’est clair qu’il y aura une oeuvre incontournable et qui sera mise en avant, c’est l’amazone qui existe en version bleue et ocre/terre de Sienne, elle n’est pas rose mais couleur peau et ce sera la création phare. Sinon, je n’ai pas réfléchi, la plupart de mes créations matchent avec le thème du store. On pourrait croire que toutes les créations représentant des hommes seraient exclues mais j’aime l’idée qu’ils soient là. On ne peut pas avoir un féminisme sans se questionner sur le masculin et sans avoir de représentations masculines plus douces, moins viriles et qui sont davantage tournées vers la féminité. Ils sont clairement les bienvenus dans le store ! J’ai des pin’s Beyoncé aussi qui seront dans la sélection, pour représenter l’empowerment ! Ainsi que les 3 femmes le poing levé sans doute dans un nouveau format et des cartes postales. J’aime avoir une gamme assez large de produits entre les tirages originaux, mes illustrations numériques et la papeterie/ carte postale pour que tout le monde s’y retrouve en termes de prix.
Qui influence le plus ce que tu produis ?
C’est difficile de citer quelqu’un en particulier, on a tous plein d’images subliminales quand on crée et dont on n’est pas forcément conscient, c’est donc un mélange de tout ça. J’aime beaucoup l’art du début 20e, donc je suis sûrement influencée par cette période-là. Les gens parlent souvent de Matisse quand ils voient mes illustrations, ce n’était pas forcément conscient pour moi. Je m’influence par beaucoup d’illustrateurs contemporains et c’est ça qui me guide, je n’ai pas un nom précis à citer. Ma lino « les garçons de l’été » c’est une réinterprétation du bain turc d’Ingres, j’ai repris les trois personnages de premier plan du tableau et je l’ai transformée non pas en scène de harem féminin mais plutôt en scène masculine. J’adore Ingres mais je ne sais pas à quel point ça m’influence. Lui aime beaucoup déformer les corps, ça ressemble à de la peinture classique très léchée mais si l’on regarde les proportions des corps qu’il fait, ce ne sont pas des personnes qui seraient anatomiquement viables. Je fais beaucoup ça aussi, j’étire et j’allonge les corps.
Comment tu t’organises en termes de créativité ? Quelle est ta routine de travail ?
En général, je n’ai pas de plan de travail, j’ai une idée ou plutôt plein d’idées avec des petits croquis qui traînent à droite à gauche, je les laisse de côté quand une se détache et me revient et je vais à fond dedans. Par exemple, là je me casse la tête sur une illustration que j’aimerais sortir pour l’été. Des hommes dans un bol de ramen et une grosse bouche en haut et des baguettes qui tiennent un homme au milieu des udons. J’aimerais faire des superpositions de couleurs mais ça ne se gère pas comme je veux donc ça remet en question ma composition donc là je l’ai mise de côté car il m’énervait trop mais je sais que je vais le reprendre dans quelques mois quand je me sentirai prête.
Cette thématique food vient varier des tes sujets habituels !
Oui c’est vrai et ça vient se différencier aussi car cette illustration est très japonisante, j’ai renforcé ça avec La Fête Sauvage écrit à la verticale, en caractères japonais donc ça change beaucoup de ce que je réalise habituellement. Peut-être qu’elle sera présente en octobre !
Tu propose souvent des ateliers de lino et tu t’es lancé dans le projet d’un jeu de société avec Mylubie, tu es donc dans une volonté de transmission de vulgariser un propos, tu peux nous en dire plus?
Pour les ateliers j’aimerais en proposer plus car c’est vrai que j’aime l’idée de transmettre justement, beaucoup de gens font des ateliers de lino, je voudrais proposer des thématiques plus ciblées. Il y a quelques temps, j’ai proposé un thème carte de voeux en lino. Je trouve ça cool de partager ! Hier, j’ai fait un atelier avec la fille d’une amie qui a 6 ans, on était toutes les deux mais je trouve ça intéressant de faire ça. Pour le jeu de cartes, il ne m’appartient pas, c’est vraiment la marque qui m’a passé commande mais on était alignés, de parler de sexualité de manière diversifiée, j’ai aimé pouvoir représenter toutes sortes de corps, de couples, des personnes trans, des personnes handicapées que l’on ne voit pas forcément dans les Kamasutra disponibles et ça c’était cool pour moi de participer à cette visibilisation et ce partage.
Là c’est imprimé, commercialisé et disponible sur leur site et dans certains points de vente. Ils ont inventé les règles du jeu avec les cartes position et là la position reste la position, il y a moins d’interprétation possible mais il y a aussi des cartes un peu plus suggestives comme une carte audio érotique et là j’étais dans une interprétation avec une certaine marge de manoeuvre tout en devant m’inscrire dans leur image. Respecter aussi des proportions réalistes, avoir des personnes expressives alors que j’ai plus l’habitude de styliser mes personnages, de les rendre graphiques. Je suis tendue vers leur univers, comme dans un travail de commande. Mais le projet est super chouette.
Des envies pour la suite ? Comment tu projette la fête sauvage dans quelques années ?
J’aimerais beaucoup dériver sur des compositions plus monumentales et figuratives. J’ai un peu dans l’idée de m’éloigner de l’illustration pour tendre vers une démarche plus artistique mais pour l’instant, je suis encore limitée en termes d’espace et de matériel et ça devient complexe quand on souhaite créer de grands formats et expérimenter davantage. J’adorerais avoir un atelier pour pouvoir accueillir tout ça ! Je voudrais trop tester le relief et l’embossage et je sais que ça nécessite une presse, avec ma dernière lino je galérais trop et j’ai testé dans l’atelier de céramique, il y a une crouteuse avec un gros rouleau où on peut carrément faire du A2 là-dessus. J’ai testé mais ça n’a pas marché, mais plus à cause de l’encre finalement. Dans les autres projets, j’aimerais aussi beaucoup représenter le baiser d’Oum Kalthoum, c’est une cantatrice. Les foules sont hystériques pendant ses concerts, les gens sont en transe. Elle est très connue et elle a toujours ce foulard à la main qui reste une énigme. Une fois, une fan l’a embrassée sur la bouche. J’aimerais faire ce baiser avec le foulard en relief, c’est une vraie envie et cette femme est très inspirante.