Interview des Points sur les Boobs

Interview des Points sur les Boobs

Mais qui es-tu ? Quelle est ta trajectoire ?

Je m’appelle Nina et je n’ai pas de points sur mes seins (rires). Pendant 6 ans, j’ai étudié à l’école Boulle pour apprendre la ciselure, une technique très particulière de travail du métal. Au départ, je ne savais pas exactement quoi faire de ce diplôme, mais je savais qu’il me dirigerait vers l’orfèvrerie, la bijouterie ou le travail du bronze. Finalement, après 6 ans de projets personnels et scolaires, en reproduisant des styles et en travaillant sur des objets historiques du XVIIIe siècle, j’ai acquis beaucoup de compétences.

Les trois premières années étaient comparables à un baccalauréat. La FMA (Formation Métiers d’Art) est moins connue, mais c’est vraiment la meilleure formation du monde (rires), car elle couvre tous les domaines : une section artistique de 12 heures par semaine, une section générale de 10 heures et une section technique de 12 heures par semaine. Ensuite, j’ai continué en DMA pendant 2 ans ; ce programme n’existe plus, mais c’était le Diplôme des Métiers d’Art. La dernière année, j’ai créé un astrolabe entièrement décoré de motifs lunaires en partenariat avec la Manufacture horlogère Vacheron Constantin. C’était de la technique pure appliquée à la création artistique.

Ensuite, j’ai trouvé un emploi dans une entreprise spécialisée dans la fabrication de serrures d’art pour les châteaux et les hôtels particuliers. Mais on était davantage dans l’exécution à la chaîne, où l’humain n’était qu’un outil ; ça forme à travailler vite, mais il fallait toujours reproduire les mêmes modèles.

 

Comment ton projet a-t-il vu le jour et quelle en est l’origine ?

J’ai lancé mon projet personnel à ce moment-là. Pendant mes études, j’avais réalisé une coupe en forme de sein pour mon diplôme, inspirée par un orfèvre amoureux de la cousine de Napoléon (Pauline, je crois). C’est étrange, car aujourd’hui on verrait les choses différemment, mais dans le musée, il avait moulé son sein par amour et lui avait offert une coupe à punch. J’ai aimé ce travail parce qu’il sortait de l’orfèvrerie traditionnelle où tout est symétrique ; là, je touchais à quelque chose de plus organique. J’avais adoré, mais j’ai perdu la coupe ! Mon prof l’avait rangée et oubliée dans un espace de stockage. Pensant l’avoir perdue, je l’ai reproduite en miniature, et c’est là qu’est née l’idée d’en faire des colliers et des parures de boobs. C’est souvent le hasard qui m’emmène à la prochaine étape de mon projet.

 

Pourquoi ce nom? D'où vient-il ? 

Lors de mes premières expositions de bijoux, beaucoup de mecs m’ont fait des réflexions affreuses du genre : « Pourquoi tu ne fais pas des couilles ? » ou « C’est un truc sexuel, ton truc ». Je me suis dit que ce projet pouvait ouvrir la discussion avec les gens. Les Points sur les Boobs font référence au point sur les i, pour clarifier le propos. C’est un nom très long qui risque de changer, car j’aimerais développer d’autres gammes de bijoux avec différentes parties du corps, en restant dans la thématique des parties isolées. Mais ce n’est pas facile ; je me rends compte que les seins sont très reconnaissables, contrairement à une fesse ou une épaule. Je dois encore travailler là-dessus.

  

C’est un projet centré sur la poitrine, sur le corps en général. Quel rapport entretiens-tu avec la nudité ?

Les corps sont tellement variés, c’est un terrain de jeu génial. Je fais de la danse classique, et même si je n’ai pas la morphologie typique des danseuses, ma prof est très inclusive. Je me suis rendu compte qu’on pouvait danser avec n’importe quel corps. Cela s’inscrit dans mon parcours un peu féministe, et je trouve que la représentation des corps nus, c’est super. J’ai testé des spas nudistes en Allemagne avec mon mec et c’était fantastique : personne ne se regarde, tout le monde est à l’aise. La nudité, c’est une forme de liberté ! C’est ton corps tel qu’il est et il n’y a rien à faire. Je voudrais que tout le monde soit nu (rires).

 

Tu as accepté notre invitation pour le Pink Power Store, quelle sera ta sélection pour la boutique ?

Les boobs en général, et je collabore avec l’illustratrice Estine Coquerelle pour sortir des bijoux ensemble. Ils sont prévus pour décembre ou janvier, mais si j’arrive à en sortir pour octobre, j’aimerais les tester au Pink Power Store.

 

Tu as sorti une bague également? 

Oui, je travaille sur un prototype de bague avec un sein unique. Je sculpte la cire, puis je l’envoie chez le fondeur qui crée un moule autour. En chauffant très fort, la cire s’évapore et laisse place au métal. C’est de la fonte à cire perdue. Pour la production, je fais appel à deux métiers différents : le fondeur et le doreur. J’ai procédé de cette manière pour les pendentifs que vous portez.

 

Nous savons que tu es déjà engagée pour la cause. Qu’est-ce qui guide cette envie d’engagement? D’où ça vient?

Oui, je fais des dons à l’asso Étincelles quand je vends des bijoux. Nous devions faire un partenariat, mais nous ne nous sommes jamais rencontrés. Cette asso aidait d’abord les femmes atteintes d’un cancer du sein, puis toutes les personnes atteintes d’un cancer. Nous évoluons ensemble et, comme eux, je voudrais étendre mes créations à d’autres parties du corps et peut-être même à des organes. Je ne voulais pas créer des bijoux en forme de seins uniquement pour vendre ; je voulais aussi m’engager en parallèle.

  

De qui est composé ta clientèle ?

Ma clientèle est majoritairement féminine, presque exclusivement des femmes ou des hommes qui offrent à des femmes. Un seul homme a acheté un bijou pour lui. C’est un objet qui peut avoir du sens après certaines expériences, mais au-delà, c’est très féminin : un symbole de féminité, un signe de sororité. J’ai eu des clientes ayant un lien avec le cancer, et j’ai fait des rencontres très émouvantes. Quelques personnes ayant perdu des proches ont trouvé du réconfort dans mes créations ou se sont offert un collier boobs en signe de victoire contre la maladie, ce qui est très gratifiant !

Quand j’ai commencé, je ne pensais pas vraiment à qui cela plairait, et je ne m’attendais pas à toucher autant de femmes. C’est dommage que si peu d’hommes s’en offrent ; ils trouvent ça chouette, mais disent souvent « c’est super, mais je ne le porterais pas ». Souvent, c’est jugé trop fin ou perçu comme une appropriation du corps féminin. 

 

Quel est le message derrière les seins comme pendentifs, transformés en objets miniatures et précieux ?

J’ai construit l’idée au fur et à mesure, mais la poitrine a quelque chose de précieux, et je suis passionnée par les choses petites. Le miniature, c’est l’essence de quelque chose ; avoir un tout petit sein sur soi, c’est porter un symbole discret qui nous suit partout, un clin d’œil que l’on peut voir sans vraiment le voir. On peut l’assumer plus facilement. J’en fais aussi des plus gros et visibles, plus extravagants, ce qui me plaît également. J’aimerais en créer des plus imposants encore.

 

 

 

Comment t’organises-tu en termes de créativité? Quelle est ta routine de travail ?

Ce projet occupe la moitié de mon temps. Je travaille à mi-temps chez un antiquaire pour restaurer des bronzes, ce qui est la partie classique de mon métier. L’autre moitié du temps, je suis dans un atelier partagé où nous travaillons tous le métal. Cela s’appelle Edward Tisson, et nous y exerçons des métiers très différents autour du métal. Il y a, par exemple, un mec qui fabrique des cadres de vélo. Ce sont mes collègues de métal ! (rires) Je travaille aussi pour des marques et je réalise des socles pour des lampes, un travail de commande qui me permet de financer la création de mes bijoux. Il faut réussir à équilibrer production, réflexion et création, ce qui n’est pas toujours facile.

 

Être une femme entrepreneuse en 2024, ça signifie quoi pour toi ?

Franchement, je n’en ai aucune idée ! C’est un mélange de tout. Parfois, je manque de motivation et je me laisse aller. Mais maintenant, j’ai trouvé mon rythme. Les urgences me poussent à avancer ; j’ai besoin de deadlines et de commandes pour structurer ma production. L’important, c’est de savoir où placer ses limites et quand les dépasser.

Je travaille à mi-temps depuis 2 ans, et il m’a fallu un an pour trouver mon rythme et comprendre que finir tard n’était pas un problème. Je commence à 11h et c’est super ! Parfois, je ne travaille que 6 heures dans une journée, mais je suis bien plus productive qu’en restant 10 heures à l’atelier. L’entrepreneuriat, c’est surtout apprendre à gérer son temps. Je ne le fais pas toujours parfaitement, mais j’y arrive. Je peux me permettre des pauses nécessaires pour prendre du recul sur mes créations. Quand je respecte ces temps-là, tout est plus fluide. C’est difficile d’accepter ce lâcher-prise. Par exemple, sur les réseaux sociaux, je poste en fonction de mes pics de motivation : parfois 5 fois dans une semaine, et d’autres fois, rien pendant des mois. J’aimerais être plus régulière, mais en pleine production, j’oublie souvent de filmer chaque étape. Ça prend du temps et demande un effort supplémentaire.

 

Qui influence le plus ce que tu produis?

Kathryn Reid Jewellery, qui fait des bijoux avec des nez d’animaux en bague. J’ai la bague museau de vache, c’est ma préférée ! J’adore son travail et elle m’inspire aussi pour la gestion des réseaux sociaux. Elle réalise des vidéos super intéressantes, courtes et bien filmées. Ce n’est pas simple de créer de belles images dans un atelier en désordre et sous lumière électrique, mais elle y arrive. Elle utilise aussi un système de prévente qui lui permet de ne pas avancer les frais, ce qui est génial pour moi. Avancer les frais pour la fonte et les dorures, c’est un gros investissement et pour l’instant, ce n’est pas viable. Un autre défi, c’est la censure des seins sur Instagram, ce qui bloque certaines de mes communications. En diversifiant mes motifs, je pourrais contourner ce problème et mieux me faire apprécier par l’algorithme. Répondre aux exigences d’Instagram pose de vraies questions et influence le processus créatif.

Catherine Ringer m’inspire beaucoup aussi. J’écoute énormément de musique et ses textes sont à la fois féministes et poétiques. On parle souvent de certaines artistes pour une seule chanson engagée, et je suis outrée que sa voix n’ait pas été plus mise en avant. En spectacle, elle lit des poèmes féministes et érotiques, c’est un mélange fascinant. À 66 ans, elle ose dire des choses érotiques sur scène, ce qui bouleverse les normes. Toute sa carrière m’inspire ; elle a une image à la fois forte, classe et trash. J’aime aussi incorporer cet équilibre dans ma marque, avec un côté humoristique mais des produits de qualité. Ma technique de travail est classique, mais j’aime décaler le support final pour trouver un équilibre entre sérieux et légèreté.

Tu as développé des objets autour de l’art de la table, est-ce un axe que tu aimerais développer ? 

J’aimerais me consacrer entièrement à la création et pouvoir en vivre. J’ai beaucoup d’idées que je voudrais explorer, mais je manque souvent de temps et de trésorerie pour tout expérimenter. L’art de la table en fait partie, cela fait plus de trois ans que j’y pense. J’aimerais créer un service de table avec des motifs de seins, en tasse et en rond de serviette (rires). La difficulté, c’est de trouver quelqu’un pour vendre mes produits, et les galeries sont difficiles à intégrer sans une certaine notoriété. Parfois, il faut simplement se lancer et voir ce que ça donne !

En m’éloignant des motifs de seins, j’ai un autre projet en tête : travailler sur le thème de la viande. Étant végétarienne, je veux questionner les gens sur leur alimentation en créant une soupière en forme de poulet, pour les faire manger avec des parties d’animaux. J’ai confectionné un hérisson pour des amis, ce qui m’a permis de mesurer le temps et le budget nécessaires pour explorer une nouvelle direction.

 

Pour conclure, aurais-tu une anecdote “girl power” à partager ? 

J’évolue dans un milieu très masculin et patriarcal, celui de l’artisanat. Mes créations avec des motifs de seins sont ma réponse à cela. Il faut savoir que chaque poste que j’ai occupé a entraîné des remarques déplacées sur ma poitrine, à chaque fois ! Avant, j’étais très mince avec peu de poitrine, et on me faisait des commentaires comme “pour ce que tu as…” ou “la planche à pain”. La dernière réflexion venait d’un collègue avec qui je m’entendais bien, qui s’est justifié en disant “c’est bon, je suis gay, je peux le dire”. Mais je ne pense pas qu’on puisse justifier de critiquer le corps de quelqu’un en invoquant son orientation sexuelle ou son âge. En atelier, je suis souvent en bleu de travail ou avec un énorme pull car il fait froid, donc la tenue n’est jamais un argument pour justifier des remarques. Créer ces bijoux, c’est ma revanche ! Maintenant, ils peuvent regarder ! (Rires)