Qui es-tu et peux-tu te présenter ?
Je m'appelle Léa Genovese, j'ai 30 ans et je suis designer de formation. Après une mise à niveau en arts appliqués et un BTS design d'espace, j'ai réalisé lors d'un stage que l'architecture ne me convenait pas. J'ai alors envisagé la scénographie, sans réussir à intégrer l'école souhaitée, et me suis finalement inscrite dans une école à Orléans mêlant art et design, où j'ai obtenu licence et master.
Cette formation polyvalente m'a permis de toucher au graphisme, à l'illustration et au design d'objet. Après mes études, avec une amie, nous avons créé une entreprise de design social, axée sur l'accompagnement de dynamiques culturelles et urbaines, avec une forte dimension sociale et moins de création pure.
Parallèlement, je me suis remise au point de croix, une passion d'enfance ravivée par un cadeau de mon associée. Pendant trois ans, j'ai brodé pour moi et vendu quelques pièces. L'année dernière, nous avons mis fin à notre collaboration, et je me suis consacrée à mon projet Atelier Genono.
Pour assurer ma sécurité professionnelle, j'ai intégré une coopérative d'entrepreneurs qui me permet d'avoir le statut d'entrepreneur salarié et de cotiser pour la retraite, le chômage, etc. J'ai suivi une formation à la création d'entreprise, ce qui m'a aidée à structurer mon projet de manière solide. Aujourd'hui, avec plus d'expérience et de nouvelles envies, je souhaite que mon projet fonctionne sur le long terme.
Tu as toujours eu un attrait pour l'artisanat depuis l'enfance. Qu'est-ce qui t'a poussé à y revenir dans ton activité ?
En fait, c'est un peu par hasard. J'ai reçu un cadeau qui m'a remis le pied à l'étrier. Quand j'étais petite, je faisais déjà un peu de broderie et j'aimais beaucoup ça, même si la couture n'est pas vraiment mon truc. C'est assez paradoxal, car je ne suis pas quelqu'un de très patient ; ça m'agace quand les choses ne vont pas assez vite. Alors pourquoi faire de la broderie, qui est une activité qui demande du temps ? En réalité, je suis très anxieuse dans la vie, et la broderie m'aide à équilibrer cette anxiété, elle contrebalance mon manque de patience.
J'ai toujours aimé créer et fabriquer des choses, que ce soit pour moi ou pendant mes études. Dans l'école où j'étais, il y avait des ateliers de fabrication : bois, céramique, métal, prototypage. On pouvait toujours toucher la matière, donner vie à nos idées. J'ai toujours apprécié faire, fabriquer, créer des objets. Peu importe de quoi il s'agit, j'aime le processus de création.
Quelle est ta création préférée et pourquoi ?
Bonne question. Je pense que mes petits patchs “ramen” sont mes préférés. Je n’en ai plus actuellement car ils ont été victimes de leur succès. Ce sont parmi les tout premiers que j’ai réalisés au point de croix—peut-être pas les tout premiers, mais en tout cas, l’un des premiers motifs que j’ai vraiment dessinés et reproduits en quantité. J’ai adoré les créer ; c’était vraiment amusant. Je me suis dit que le concept d’avoir un petit écusson était sympa. Et comme j’adore la nourriture, ça va généralement de pair avec mes créations. Je pense que c’est ce que je préfère, même maintenant.
Qu'est-ce que le travail artisanal signifie pour toi, personnellement et professionnellement ?
Personnellement, l'artisanat m'aide beaucoup sur le plan de la santé. Être patiente et méticuleuse lors de la broderie apaise mon anxiété et réduit mon stress, qui sont, je pense, des maux générationnels. Il y a une certaine sérénité dans l'artisanat, car on est contraint par un processus de fabrication humain qu'on ne peut pas accélérer. Contrairement à d'autres métiers comme l'illustration, le graphisme ou le design, où l'on peut accélérer les processus grâce aux logiciels ou en manœuvrant pour faire avancer le projet plus vite, l'artisanat impose un rythme plus lent qui m'aide à calmer mon rythme de vie.
Professionnellement, c'est un pari un peu risqué car le monde n'est pas toujours tourné vers l'artisanat, même si les tendances changent et que les gens deviennent peut-être plus conscients de leurs achats. Mon projet est motivé par l'envie de partager mes créations, qu'elles ne soient pas seulement pour moi. Je voulais aussi m'éloigner de l'univers de la mode et de la fast fashion, où l'on consomme beaucoup de vêtements. À l'origine, mon rêve était de créer des vêtements, mais aujourd'hui, cela n'a plus vraiment de sens pour moi. Écologiquement, cela n'a pas d'intérêt. En me tournant vers la broderie, je me suis dit que je pouvais apporter quelque chose sur ce qui existe déjà, sans ajouter inutilement de nouveaux objets. Je n'ai pas envie de produire pour produire, pour en rajouter encore dans ce monde.
Comment espères-tu que tes écussons permettent aux gens de se réapproprier leur style ?
Je pense que mes écussons offrent aux gens la possibilité de les placer où ils le souhaitent, ce qui libère leur créativité. Tout le monde n’est pas forcément apte à créer ou fabriquer des choses, mais nous sommes tous capables de nous approprier les créations de quelqu’un pour les adapter à notre goût. L’essentiel, c’est de pouvoir exprimer sa créativité et montrer au monde qui l’on est, même si l’objet a été créé par quelqu’un d’autre. C’est la manière dont on le porte—sur un sac, une casquette, etc.—qui compte.
Pour moi, c’est un peu le fondement de la mode. On peut s’habiller avec un simple chiffon, mais si on l’adapte bien et qu’on est fier de le porter, cela fait toute la différence. Ce qui me fait le plus plaisir, c’est de voir des gens fiers de porter un de mes écussons, heureux de l’avoir. Ils achètent quelque chose qu’ils peuvent garder, montrer, et qui est beau. C’est pour cela que les gens se tournent vers l’artisanat : ils recherchent cette qualité et cette connexion, ce qui est important pour eux. C’est vraiment un gage de qualité.
Quelles sont tes plus grandes inspirations graphiques pour les motifs et les broderies ?
J'allais dire que j'adore les enfants, même si cela peut sembler un peu étrange. En réalité, je m'inspire un peu de tout, mais j'aime particulièrement jouer avec les couleurs et les jeux d'enfance. Je pense notamment à Paul Cox, un artiste très lié à l'univers de l'enfance, avec ses nombreux jeux de construction. J'apprécie cette idée de modules que l'on assemble, où il suffit de quatre cubes de couleurs pour créer quelque chose de beau et ludique. Cela m'inspire beaucoup.
Dans mes dessins, j'opte souvent pour la simplicité, parfois même un style un peu naïf. J'utilise fréquemment des fonds de couleurs très enfantins. C'est assez amusant, car j'avais perdu le goût de dessiner il y a deux ou trois ans, et c'est en me mettant à la broderie que je l'ai retrouvé. Pouvoir broder mes propres dessins m'a beaucoup libérée. Je peux faire un premier jet, un petit croquis, voir ce que ça donne, puis le transformer en broderie et l'adapter. C'est un échange constant entre le dessin et la broderie, un véritable ping-pong créatif.
Donc oui, les couleurs, les jeux pour enfants et l'univers de l'enfance m'inspirent énormément. Je n'ai pas encore d'enfants, mais je trouve cela chouette de garder ce lien avec l'enfance. C'est vrai que j'ai commencé la broderie quand j'étais jeune, et finalement, ce lien est toujours là. C'est une sorte de thérapie, un moyen de me reconnecter avec mon enfance.
Quel impact espères-tu avoir face aux problématiques de la fast fashion ?
J'espère qu'un jour, j'aurai un impact, même si je ne sais pas s'il sera majeur. J'ai arrêté de me fixer l'objectif d'avoir un gros impact, parce qu'à un moment, il faut aussi lâcher prise. Mon but, c'est surtout de faire ce que je peux pour répondre à une problématique qui est la mienne, mais aussi celle de beaucoup de gens. Ce que j'espère surtout, c'est sensibiliser les gens. Par exemple, quand un vêtement est en fin de vie, que peut-on faire pour lui donner une seconde chance ? Peut-être un peu d'upcycling, ou ajouter un écusson à un t-shirt délavé pour lui redonner vie. J'avais une banane que je trouvais fade, et après avoir collé un écusson dessus, elle est devenue belle et j'ai eu envie de la porter à nouveau. C'est ça que j'attends de mes produits : redonner envie de porter un vêtement sans passer par l'achat d'un nouveau, et tout le cycle de production qui l'accompagne.
Oui, je vais avoir quelques tote bags avec des mots. Ça faisait un moment que je voulais en faire, mais je ne savais pas trop quoi écrire dessus, ni les couleurs à choisir. Puis je me suis dit : on fait un événement entre meufs, c’est le "Pink Power." Alors, allons-y avec du rose et des mots badass. Ça m’a motivée à lancer la production. Je vais aussi avoir mes porte-clés, que j’aime bien parce qu’ils sont tous uniques, avec des couleurs différentes. Ça me plaît de penser que des petits trèfles se retrouvent un peu partout et, qui sait, peut-être qu’ils portent chance. Et là, je teste des petites broches en forme de cœur. C’est mignon, mais je fais encore des essais de couleurs et de cadres, donc je ne suis pas encore totalement satisfaite. Enfin, il y aura aussi des écussons thermocollants, les classiques.
As-tu une anecdote Girl Power à nous partager ?
aux marchés de créateurs, rencontrer les gens, mais ça fait vraiment plaisir quand tes copines passent te soutenir. Il y a toujours ce moment où tu es seule à ton stand, il est 15h et tu te dis que tu as encore quelques heures devant toi... Puis une copine arrive, passe une heure avec toi, et ensuite une autre débarque. Ça me booste à fond. Et il y a ma copine Romane, qu'on peut citer, parce qu'elle est venue à tous mes marchés, sans exception. Même après une grosse soirée, avec la gueule de bois, elle était toujours là. Ce soutien, c'est ça qui fait la différence. Elles passent, me rappellent que ce que je fais, c'est bien, me donnent des idées de nouveaux produits. C'est dans ces moments-là que je sens vraiment la force de la sororité.
Crédits photo : 2in
Retrouvez les créations de l'Atelier Genono ici : https://www.ateliergenono.fr/