Qui es-tu et quelle est ta trajectoire ?
Je m'appelle Anaïs Hetzel. Il y a un an, j'ai obtenu mon master en design graphique, mais ma passion pour l'art remonte à bien plus longtemps. Depuis toute petite, je suis fascinée par le dessin et mes parents m'ont toujours encouragée dans cette voie. On passait beaucoup de temps à visiter des musées, et je passais mes journées à gribouiller tout ce qui me passait par la tête.
C'est vraiment à partir de la 3ème que j'ai pris les choses au sérieux : j'ai intégré une école d'art, et mes parents ont tout de suite soutenu cette décision. Depuis la seconde, l'art fait donc pleinement partie de mon quotidien.
Au fil des années, j'ai eu l'occasion de toucher à plein de disciplines : tapisserie, régénération de textiles... J'ai toujours été attirée par le dessin et le textile, mais c'est finalement le design graphique qui m'a vraiment conquise. Je continue d'ailleurs à faire du textile, mais surtout pour le plaisir.
Aujourd'hui, je réalise des projets, surtout pour ma famille : je restaure des sièges, je crée des coussins... On adore choisir les tissus ensemble, c'est toujours un bon moment. Mais même si le textile reste présent dans ma vie, c'est plus un hobby qu'un métier.
Mon vrai objectif est de travailler dans le design graphique, où je peux vraiment m'exprimer tout en gardant mes petites créations à côté, juste pour le plaisir !
Ton projet semble très ancré dans une réflexion sur l'identité. Est-ce que tu peux nous en parler ?
J'ai été adoptée à l'âge de 4 ans, je suis née en Haïti. Pendant longtemps, j'ai rejeté cette partie de mon identité, parce que je devais m'adapter à ma nouvelle famille. À 4 ans, c'est compliqué d'apprendre une nouvelle langue, une nouvelle culture, de tout réapprendre, en fait. Même si je ne m'en souviens pas de manière précise, je pense que ça a forcément eu un impact sur moi.
Je n'aimais pas parler de mon adoption, même si c'était évident. À un moment, je ne pouvais plus prétendre que j'étais née dans le même monde que ma maman, c'était impossible. Je pense que c'est au lycée que j'ai vraiment commencé à me poser des questions sur mon adoption, sur qui je suis, et sur ma représentation en tant que femme, et plus spécifiquement en tant que femme noire.
J'ai vécu des discriminations, du racisme, et je pense que mon art est en réaction à ces expériences. Mon travail artistique me permet de m'exprimer sur ces questions, et à travers mes dessins, j'ai aussi pu commencer à découvrir qui je suis. Mais je suis encore en pleine recherche, et c'est justement à travers mon art que je continue à me chercher.
Atelier Sianah est en fait un anagramme de mon prénom, Anaïs. Comme “Siana” existait déjà, j’ai ajouté le “H” de mon nom de famille, qui est une lettre muette, ce qui me convenait bien. Je voulais que mon nom apparaisse sans être trop évident. C’est un peu pareil dans certaines de mes illustrations, où je joue avec les prénoms. Par exemple, dans l’une d’elles, j’ai utilisé mon prénom de naissance, Renise, que m’a donné ma famille biologique, tandis qu’Anaïs est celui que m’a donné ma famille adoptive.
Comment perçois-tu l’évolution de la représentation des femmes noires dans l’art et la culture visuelle aujourd’hui ?
Je pense qu’il y a des progrès notables. On voit de plus en plus de femmes noires prendre leur place, que ce soit dans le cinéma, la musique, ou d’autres formes d’art visuel. Il y a une vraie ouverture qui se fait, et on commence enfin à leur donner l’espace qu’elles méritent. Cependant, il est essentiel d’éviter de créer des distinctions en fonction de la couleur de peau. L’art devrait aller au-delà de ces différences.
Par exemple, lorsqu’un remake de film, comme un Disney, choisit une femme noire pour un rôle, cela ne devrait pas être sujet à polémique. Ce sont des personnages fictifs, ils n’ont jamais existé, donc pourquoi s’indigner ? Le plus important est que cette actrice soit choisie pour son talent, pour ce qu’elle apporte au rôle. La couleur de peau ne devrait jamais être le critère déterminant. C’est la même chose dans tous les domaines artistiques : quand on engage une artiste, cela doit être basé sur son travail, ses compétences, et non sur son apparence.
J’espère sincèrement que cette tendance va se poursuivre, que la représentation des femmes noires va continuer à se diversifier, et que ces débats autour de la couleur de peau vont s’effacer avec le temps. Je suis optimiste et je crois que les choses évoluent dans le bon sens. On voit des avancées dans de nombreux domaines, et c’est vraiment encourageant pour l’avenir.
Penses-tu que d’autres femmes puisent de l’inspiration dans ton travail ?
Certaines de mes amies, qui ont aussi été adoptées comme moi, m’ont confié que mon travail les avait touchées, bien que ce n’était pas mon intention initiale. C’est en discutant que j’ai réalisé qu’on venait toutes les trois du même pays, ce qui a renforcé le lien entre nous. Cela leur a fait du bien de voir une représentation différente, et cela m’a aussi encouragée à continuer dans cette voie. D’autres femmes, qui ne faisaient pas partie de ma cible au départ, ont également acheté mes illustrations, ce qui m’a fait comprendre que mon art pouvait toucher un public plus large, au-delà des catégories de couleurs de peau.
Une amie m’a fait remarquer que mon travail pourrait s’adresser à toutes les femmes, pas seulement aux femmes noires. Elle m’a suggéré de représenter cette diversité, car toutes les femmes, peu importe leur origine, subissent des discriminations d’une manière ou d’une autre. Cela m’a fait réfléchir, et même si je me concentre encore beaucoup sur les femmes noires, j’envisage d’élargir ma perspective.
Mon projet de fin d’études a vraiment lancé cette réflexion. Pendant le confinement, je me suis intéressée à la représentation des femmes noires et des coiffures tribales. J’ai découvert un photographe qui parcourait l’Afrique pour documenter des coiffures contemporaines, ce qui m’a profondément inspirée. À partir de là, j’ai décidé de mettre en avant ces éléments dans mon travail, en les combinant avec mon amour pour la représentation féminine. Depuis, je n’ai jamais dévié de ce sujet, car il me parle vraiment, et je sens que c’est un terrain fertile pour l’exploration artistique.
Quelle différence y a-t-il dans ton processus créatif lorsque tu travailles sur des portraits de femmes, versus des paysages ?
Le processus est très différent. Pour les portraits de femmes, je fais beaucoup de recherches, que ce soit dans la photographie ou les livres, pour capturer des traits réalistes et fidèles à la réalité. C’est important pour moi de mettre en avant les véritables caractéristiques des femmes que je dessine. En revanche, pour les paysages, c’est beaucoup plus fictif. Je m’inspire principalement de mes propres voyages, donc il n’y a pas de recherche approfondie comme pour les portraits. C’est davantage une retranscription de mes souvenirs.
D’ailleurs, lors d’un marché, un homme m’a demandé pourquoi je dessinais principalement des femmes noires. Je lui ai répondu que, tout comme on ne se pose pas cette question face à certaines œuvres au Louvre, mon travail reflète ce qui me touche. Mais après cette remarque, j’ai essayé de me diversifier, notamment en intégrant plus de paysages. Cependant, ce n’était pas vraiment ma priorité créative. Je pense que je vais revenir à ce qui me passionne le plus : les portraits. Les paysages resteront secondaires dans mon travail.
Quelle serait ta sélection pour le Pink Power Store ?
J’ai réalisé une illustration spécialement pour l’événement, dans le cadre d’Octobre Rose. Je l’ai filmée pour montrer le processus, tout en restant fidèle à mon style. J’espère que ça correspondra bien à l’ambiance de l’événement.
Pour ma sélection, je suis encore en hésitation. Je vais sûrement inclure mes illustrations de femmes, celles que j’ai déjà exposées dans un restaurant d’une amie. C’était une série qui mélangeait des représentations de femmes asiatiques, noires et blanches. L’idée était de créer un mélange diversifié. Mon amie m’avait suggéré d’inclure des femmes asiatiques, et je trouvais que ça apportait un bel équilibre.
J’envisage aussi de proposer des tote bags avec mes illustrations, mais je ne suis pas encore fixée sur lesquelles utiliser. Ce sera peut-être une surprise, un peu de teasing pour l’événement !
Comment tu t’organises en termes de créativité ? Et quels matériaux utilises-tu le plus souvent ?
Je suis un peu bordélique et touche à tout. J’essaie parfois de me fixer un rythme de travail, mais la procrastination me rattrape souvent. Du coup, je ne me donne pas de deadlines strictes, je travaille vraiment selon mon envie. J’aime définir des thématiques pour mes projets, comme ma collection Afro-Summer qui met en avant les cheveux afro. Pour cela, je me suis informée sur le sujet, car je ne connaissais pas bien mes propres cheveux. Je fais plusieurs illustrations autour de chaque thème.
Sinon, j’ai aussi des croquis que je ne mets pas en avant sur Instagram. Ce sont souvent des dessins plus abstraits, liés à la nature et aux couleurs, juste pour exercer ma créativité. J’alterne entre dessins sur tablette et carnet de croquis. Quand je dessine sur ma tablette, je fais d’abord le dessin, puis je remplis avec les couleurs. Tandis que dans mon carnet, je commence directement au feutre, sans esquisse préalable.
En termes d’organisation, parfois je mets des deadlines, mais même quand je procrastine, je réfléchis toujours à mes créations. C’est un peu comme un puzzle que je finis par assembler dans ma tête, et une fois que tout se met en place, je sais que je suis prête.
De qui est composée ta clientèle principalement ?
Essentiellement de femmes, puisque je dessine principalement des femmes. Cela dit, mes illustrations plaisent aussi aux hommes. Sur les sites, ce sont surtout les femmes qui commandent, mais lors des marchés, c’est plus varié. Il y a aussi des mamans qui achètent pour leurs enfants, enfin, plutôt pour des ados ou des jeunes. En termes de tranche d’âge, je dirais entre 16 et 40 ans, mais je ne peux pas toujours le savoir avec précision, surtout en ligne où les adresses ne donnent pas beaucoup d’indices. Je dirais donc que la majorité de ma clientèle reste féminine.
Quels sont les défis que tu rencontres en tant qu’illustratrice ?
Il y en a plusieurs. Le premier, c’est simplement de se faire connaître et de faire comprendre son style, ce qui n’est pas toujours facile, surtout au début. Même si mes parents me soutiennent, je suis encore en train d’apprendre à me développer. Mon père m’aide beaucoup, il a même son entreprise et m’a donné quelques conseils. Mais c’est un processus constant.
Le deuxième défi, c’est d’être une illustratrice noire. Il y a parfois des problématiques liées au racisme, mais d’un autre côté, j’ai aussi de super retours de la communauté noire, ce qui est vraiment encourageant. Je reçois des messages de personnes dans des domaines variés comme les soins capillaires ou la mode, et c’est toujours chouette de voir ce soutien. Je débute encore, ça ne fait qu’un an que j’ai commencé, et même si je ne m’y suis pas consacrée à 100 % tout de suite, je suis contente des progrès.
Quand je suis revenue d’un voyage en Asie, je me suis dit qu’il était temps de vraiment m’investir et de lancer mon site. Heureusement, avec mes bases en design graphique, j’ai pu faire quelque chose de correct, même si le marketing, c’est encore un peu flou pour moi. C’est là que je me rends compte de l’importance d’avoir des partenaires ou des amis dans le milieu pour échanger des conseils, mais je fais avec les ressources que j’ai.
Est-ce que tu as une anecdote girl power à nous raconter ?
Récemment, j’étais à l’anniversaire d’une amie de 25 ans, et à un moment, la discussion s’est tournée vers mes illustrations. Plusieurs personnes m’ont dit qu’elles connaissaient déjà mon travail. Je leur ai avoué que parfois, j’avais envie de proposer des collaborations, mais que je n’osais pas. Elles m’ont juste regardée et m’ont dit : “Qu’est-ce que tu attends ?” C’était un déclic pour moi. Le lendemain, j’ai arrêté de procrastiner et j’ai commencé à envoyer des mails. J’ai eu deux retours positifs, dont une fille que j’avais rencontrée lors d’un marché, qui fait des bijoux pour cheveux afro. On a décidé de collaborer, et j’étais fière de m’être lancée, d’être sortie de ma zone de confort.
Cela m’a rappelé une autre expérience marquante. Récemment, j’ai vu un documentaire sur un jeune de 22 ans qui a quitté son écran pour s’ouvrir au monde. Son message était simple : sourire et prendre le temps de lâcher son portable pour explorer le monde. Je me suis un peu reconnue là-dedans. Je suis partie seule en Asie avec mon sac à dos pendant trois mois, et ça a été une expérience incroyable. Je pense que tout le monde devrait voyager seul au moins une fois pour se découvrir. Ça m’a fait comprendre que parfois, il faut sortir de sa zone de confort pour grandir.
Voyager seule, surtout en tant que femme, peut sembler risqué, mais pour moi, c’était libérateur. J’avais quelques appréhensions, surtout par rapport à mon expérience passée en Chine où j’avais eu des moments difficiles. Mais finalement, ça s’est bien passé, et ça m’a aidée à m’accepter encore plus, surtout en recevant des compliments sur ma couleur de peau, ce qui était inattendu en Asie.
Crédits photo : 2in
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