Mais qui es-tu ?
Je m’appelle Joanna, j’ai eu trente ans cette année, et ça a été un peu difficile mentalement. Je ne m’y attendais pas du tout, mais j’ai fait une vraie crise de la trentaine. Trois semaines avant, j’avais des crises de larmes en continu, je pleurais même sous la douche. Puis, le jour de mes trente ans, POUF, ça s'est arrangé. Je crois que c’est l’abandon du "2" (rires).
J’ai été cheffe de projet événementiel pendant 5 ans, mais j’ai craqué et décidé de lancer ma propre marque, car j'avais besoin de créer de mes mains. J’ai toujours adoré la mode, que je considère comme un art des plus équilibrés : elle évolue avec le temps et contribue à façonner une identité. Grâce à elle, on peut se transformer et exprimer tant de choses. J’ai créé Jooj en avril 2023 et j’en suis super fière, c’est mon bébé !
Ma grand-mère, qui est libanaise, était une couturière hors pair et faisait tout à la main. Elle a transmis son savoir à ma mère, qui me l'a à son tour partagé. J’ai pris des cours de couture au lycée, mais c’était assez basique. Dix ans plus tard, juste avant le COVID, ma mère m’a offert une machine à coudre Lidl pour Noël. Trois mois plus tard, travaillant dans l’événementiel, je me suis retrouvée au chômage, et c’est là que la couture est devenue mon quotidien. Je passais mes journées à coudre, de 9h à 12h puis de 14h à 18h. Cela m'a permis de tuer le temps, mais surtout de franchir la phase frustrante de la couture, celle où tu te bats pour maîtriser les bases et apprivoiser les outils.
Le chômage m’a offert cette opportunité : me concentrer pleinement sur la couture sans me décourager face aux difficultés. J’ai persévéré ! Aujourd’hui, j'ai parfois l'impression de faire ça depuis 20 ans, et d'autres fois, d'être encore en train de tâtonner comme au début. Néanmoins, je vois clairement l'évolution dans ma production depuis l’année dernière.
Jooj, ça sonne moelleux mais ça vient d'où ? Comment est née la marque ?
J’ai une chance incroyable d’être entourée de copines formidables. J'ai quitté mon ancien boulot parce que ça devenait trop compliqué, je ne tenais plus, je pense même avoir fait un burn-out. Le salariat ne convient pas à tout le monde, et certains patrons sont particulièrement difficiles. C'est ce qui m'a poussé à changer, et mes amies m'ont beaucoup soutenue. Un jour, j’ai reçu un mail d’une de mes copines graphiste, Anaelle, qui m’a écrit : « Tiens, je pense que ça pourra t’aider à démarrer. » Elle m’avait envoyé un fichier zip avec un logo, une palette de couleurs, des illustrations... une direction artistique complète ! Elle avait parfaitement compris ce que je voulais pour mon projet. J'ai vraiment une chance de dingue d’être si bien entourée.
Après, quand tu mets une part de toi dans ce que tu crées, ça devient forcément cohérent parce que tout se construit autour de toi. Le nom Jooj vient de "Jojo", car je m’appelle Johana et mes proches m’appellent Jojo. Le logo est en miroir, et même si j'avais cherché un nom, Jooj, c’est moi, et ça marche.
Des œufs, des citrons, des piments… la nourriture semble centrale dans tes créations, non ?
Déjà, j’adore la bouffe, mais surtout, je trouve que la nourriture est hyper graphique. Il y a des couleurs incroyables dans la nature. Par exemple, le jaune du citron est fou, et le vert de la feuille va tellement bien avec ! Les œufs, je déteste ça, mais je trouve ça magnifique. Le jaune est parfaitement circulaire, et il n'y a pas beaucoup de choses vraiment circulaires dans la vie. Sur un fond blanc, le contraste est superbe.
J’adore manger, donc forcément ça se ressent dans mes créations (rires). Les fruits ont des formes et des couleurs tellement belles, et la couleur, c’est un peu ma passion. La gamme fruit et légumes, je la vois comme une collection, un sujet que j’ai aimé explorer, un peu comme mes paysages. Je me laisse la liberté de laisser évoluer mes créations avec le temps, mais la couleur, elle, restera toujours présente, c’est la base de tout pour moi.
Je porte des vêtements très colorés, mais je sais que ce n’est pas pour tout le monde. J’aime donc proposer quelque chose de coloré mais facile à porter. Par exemple, le bleu de travail, j’adore sa matière, c’est résistant et facile à associer. La plupart des gens qui achètent mes créations ont un style plus sobre que moi, mais ils aiment bien avoir une pièce forte dans leur tenue.
Tu as accepté notre invitation pour le PPS, quelle sera ta sélection pour la boutique ?
Je pense que je vais ramener pas mal de pièces en bleu, c’est très cohérent avec ce que je fais chez Jooj. Il y a tellement de choses que je pourrais apporter ! Je ne suis pas encore sûre pour les bananes, mais pour les bleus, c’est certain !
Upcycling et production éthique : comment fais-tu pour dénicher tes tissus ?
Au début, je ne me fournissais que dans des magasins de seconde main ou grâce à des dons, et je récupérais aussi beaucoup chez Emmaüs. Aujourd’hui, je fais face à une nouvelle problématique : j’ai envie de proposer des petites séries. Par exemple, pour mes vestes dodues à manches ballon, j’aimerais pouvoir en offrir une de chaque taille. Mais ça demande d’avoir suffisamment de tissu, et pour ces vestes, il me faut au moins deux mètres. C’est donc plus difficile à trouver uniquement via la récup'.
Désormais, je m’approvisionne auprès de structures qui récupèrent des stocks dormants, notamment dans la région lyonnaise, où il existe une super organisation appelée Feat cop. Ils récupèrent des quantités énormes de tissus d’une qualité incroyable, qui étaient simplement stockés dans des entrepôts. En plus, ils fournissent une traçabilité claire des produits, ce qui est essentiel pour moi. C’est un travail de recherche qui prend beaucoup de temps, mais c’est un aspect important de la conception de mes produits. Autant pour certains éléments de mercerie, comme les boucles, je suis obligée d’aller vers du neuf, autant pour le tissu, je privilégie la récup'.
À terme, j’aimerais que toutes mes créations proviennent de seconde main ou trouver des solutions alternatives. Aller en friperie, c’est un peu un art en soi : il faut développer une technique, comme pour un sport, et avec le temps, tu acquiers des réflexes. C’est super excitant quand tu tombes sur une vraie pépite ! Par contre, il faut aussi accepter parfois de repartir les mains vides. Il y a des friperies où je ne vais jamais, et d’autres où je sais que je trouverai toujours quelque chose.
Qui compose ta clientèle ?
Honnêtement, ce que j’adore chez Jooj, c’est la diversité de ma clientèle. J’ai autant des mamans qui achètent, que des couples qui partagent les vêtements, même s’ils ne font pas la même taille. L’un va le porter en mode oversize, l’autre de façon plus ajustée, et ils se l’échangent. Je trouve ça super chouette d’imaginer le vêtement comme un élément de partage !
Je n’ai pas trop de clients de moins de 20 ans, ce n’est pas vraiment ma cible. Ils ne sont pas forcément présents lors de mes événements, et c’est vrai qu’ils n’ont peut-être pas toujours le budget pour s’offrir une grosse pièce. Mais j’ai quand même quelques jeunes. Globalement, ma clientèle est assez variée, entre 20 et 50 ans, et c’est ce qui me plaît.
Comment t’organises-tu en termes de créativité ? Quelle est ta routine de travail ?
Je fais ça à plein temps maintenant. J’ai quitté mon ancien travail il y a deux ans via une rupture conventionnelle, et je suis encore sur le chômage pour quelques mois, mais Jooj fonctionne bien et je commence à me constituer un petit matelas de sécurité. J’ai commencé cette activité avec l’aide d’une conseillère qui m’a fait un bilan de personnalité pour voir si j’étais faite pour l’entrepreneuriat.
En ce moment, je suis à 100 % sur Jooj. D’ici décembre, je devrai décider de la structure à adopter pour la marque, mais vu la direction actuelle, je suis confiante ! La réalité financière me poussera peut-être à prendre autre chose à côté, mais on verra. Je suis une personne du matin, j’adore ça ! Généralement, je commence ma journée en gérant mes réseaux sociaux, ce que j’apprécie beaucoup. Contrairement à certains, je trouve que c’est une plateforme de créativité géniale. Ensuite, je passe à la production.
Je suis très organisée, donc je programme tout, même si j’en planifie souvent trop (rires). Je me donne une trame à suivre et je m’y tiens, même si tout ne suit pas toujours.
Une journée par semaine, je la consacre à chercher des tissus, faire des rendez-vous, etc. Je vis Jooj du matin au soir. Même le week-end, quand je n’ai “rien” à faire, je travaille sur Jooj, mais comme c’est le week-end, je ne le perçois pas comme du vrai boulot (rires).
Ça prend beaucoup de place dans ma vie, mais ça ne me dérange pas. Jooj fait partie de moi. Après ma période difficile en salariat, j’avais besoin de ça. J’ai eu une phase de latence qui m’a permis de rebondir et de me consacrer pleinement à ce projet. Mon rêve, ce serait d’avoir une boutique Jooj, idéalement à Paris !
Qui influence le plus ce que tu produis ?
Honnêtement, je pense que ce sont surtout les inconnus que je croise. Parfois, certaines personnes ont un style incroyable, et ça me donne envie de m’en inspirer. Dans le métro, il se passe des trucs de dingue niveau mode. Ça peut être gênant pour certains, car parfois je fixe un peu trop (rires). Sinon, je puise aussi beaucoup d’inspiration dans les films et les séries aux univers très colorés. Par exemple, la série "Sex Education" m’a beaucoup inspirée en termes de palette de couleurs et de style. Je m’inspire aussi énormément des tendances déco, qui m’aident à penser les formes, les couleurs et les textures d’une manière différente.
Qui influence le plus ce que tu produis ?
Franchement, j’ai pas réussi à trouver une anecdote en particulier, et ça m’énerve ! Soit j’ai une mémoire de têtard et je ne m’en rappelle pas, soit j’en ai pas, et dans les deux cas c’est frustrant (rires). Mais je crois que rien qu’en rencontrant mes copines, on verrait que j’ai la chance d’avoir le girl power constamment présent dans ma vie. Elles sont ma source d’énergie et d’inspiration.
Crédits photo : 2in
Retrouvez les créations de Jooj ici : https://cestjooj.fr/