Peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?
Je suis Cécile Reboul, fondatrice de l’association Skin, que j’ai créée en 2012 à la suite de ma propre traversée d’un cancer. Après cette épreuve, j’ai réalisé que la phase la plus difficile commence souvent après le parcours de soins. On nous dit que le plus dur est derrière nous, que tout est comme avant, mais on se retrouve souvent seul face à soi-même, sans plus savoir qui on est devenu. C’est de là qu’est née Skin, une association qui aide les personnes touchées par le cancer à se reconstruire au moyen de l’art, en les accompagnant dans cette période de l’après-cancer, trop souvent négligée.
Art Talent Show, juin 2024
Comment l’idée de fonder Skin a-t-elle germé et comment l’association a-t-elle évolué ?
Quand j’ai créé Skin, la plupart des gens n’avaient pas conscience de cet enjeu de santé publique qu’est l’après cancer. Mais j’ai vécu cette expérience personnellement et j’ai vu l’effet boule de neige qu’elle avait sur les malades qui ont rejoint l’association. En 2018, la Ligue contre le cancer a révélé que deux personnes sur trois touchées par un cancer estiment que l’après est plus difficile à vivre que la maladie elle-même. Les séquelles peuvent même persister jusqu’à 25 ans après le diagnostique, affectant tous les domaines de la vie.
J’ai fondé Skin parce que j’ai vécu, par hasard, l’expérience du binôme artistique que je propose aujourd’hui. À l’origine, je voulais écrire un livre pour rassurer les femmes sur leur féminité après le cancer. Lorsque j’ai été diagnostiquée d’un cancer du sein, je me demandais dans quelle mesure je redeviendrais un jour une femme. J’ai commencé à écrire des billets d’humeur, puis une photographe s’est mise à me photographier. Nous avons co-créé photos et textes à l’appui pendant dix-huit mois. Quand j’ai vu ses photos mises bout à bout, j’ai réalisé que la vie avait repris ses droits. Et surtout, que cette aventure artistique à 4 mains avait été pour moi une extraordinaire thérapie. Cette expérience est devenue une manière d’aider les autres à se reconnecter à la vie.
Pour moi, Skin, c’est la peau, la mue, la cicatrisation psychique et émotionnelle, des mues successives pour devenir celle ou celui « d’après ». Skin se situe entre la fin des traitements et le retour au travail. Parce qu’il est essentiel de retourner à soi avant de retourner aux autres, au travail, à la société tout entière. Skin, c’est mon bébé, ma colonne vertébrale, et j’ai envie de me réveiller chaque matin animée par cette même passion d’aider les autres à guérir durablement par le beau.
L’objectif est de remettre l’humain au centre, de créer des rencontres avec des artistes qui accompagnent ces personnes. Cela leur permet de se concentrer sur autre chose, de redonner du sens à leur vie et de devenir co-créatrices de leur reconstruction.
Pour exemple, une femme a pris conscience qu’elle portait trop de poids sur ses épaules, en s’occupant de tout le monde et en s’oubliant au passage. Elle a réalisé qu’elle avait maintenant besoin de penser à elle et de s’assoir pour pouvoir rebondir. Grâce à Skin, elle s’est alors lancée dans la co-création d’un fauteuil avec une architecte designer. Mais pas n’importe quel fauteuil ! Un fauteuil pour pouvoir rebondir vers le soi d’après !
Une autre patiente s’est découvert une passion pour le parfum pendant le cancer. Elle a eu ensuite envie de créer une brume d’oreiller pour apaiser le flux de ses pensées le soir au moment de se coucher…
Il est essentiel de prendre le temps de guérir et de se reconnecter à soi-même, de quitter son statut de patient et de se redresser, de reprendre son destin en main, en y mettant du sens.
Soirée Saint Valentin, février 2024
D’où vient l’idée des projets artistiques dans Skin ?
J’ai suivi un parcours littéraire, donc ma créativité s’est d’abord exprimée par l’écriture. Puis, en travaillant avec les femmes* chez Skin, cette créativité s’est élargie à tous les projets que je mène avec elles. Pour moi, la créativité est une source de plaisir, et le plaisir est un ingrédient essentiel de la résilience. Quand on sort des traitements, on est souvent submergé par les émotions, on n’a plus les mots pour exprimer ce que l’on ressent. La création devient alors un moyen de libérer la parole, mais aussi de se reconnecter à soi-même. En parlant d’art et de création, on libère la parole sur soi, et cela permet à ces personnes de renouer avec leur enfant intérieur, de devenir actrices de leur reconstruction.
Atelier Farpait, avec Sarah @farpait
Avec Ségolène, que l’on commence à bien connaître :-) , combien de personnes sont impliquées dans Skin ?
Nous sommes quatre : Ségolène, Bertrand, qui est président de Skin et gère le développement et les partenariats, Léa, notre graphiste multitâche, et moi. Nous avons également des personnes qui renforcent régulièrement l’équipe pour les gros événements, comme les “Skin Sketch”, et cette année, six ambassadrices ont commencé à s’impliquer de manière spontanée, chacune apportant ses compétences et sa passion.
Comment choisis-tu les artistes pour les binômes ?
Le choix des artistes est principalement intuitif, basé sur l’humain. Je cherche d’abord quelqu’un dont la sensibilité correspond à celle de la personne touchée par le cancer. Une fois le binôme formé, je lui laisse la liberté de créer comme il le souhaite, en ajustant si besoin et en faisant des points réguliers avec chacun. Je ne suis pas issue du milieu artistique, mais je trouve souvent les artistes par hasard, parce que le projet est juste, qu’il sonne juste aussi à leurs oreilles, via mon réseau ou Internet. Avec Skin, les bonnes rencontres arrivent naturellement.
Rallye des Amazones, 2024
Y a-t-il un projet particulier qui te tient à cœur en ce moment ?
Oui, un projet important : Skin est officiellement référencée par l’AP-HP. L’association participe au développement de la première unité de soins post-cancer à l’hôpital Tenon. C’est une grande avancée pour Skin. C’est une reconnaissance de notre travail et de notre légitimité dans l’accompagnement des personnes après leurs traitements. Les hôpitaux ont besoin de notre relais dans cette phase de reconstruction, et c’est une étape incroyable pour le développement de l’association.
*L’association Skin est ouverte à tout le monde, hommes et femmes, touchés par tous les cancers, mais elle compte une écrasante majorité de femmes !
Premier défilé Skin, Centre Beaugrenelle